samedi 14 avril 2007

Less Than Zero


Ce qu'il y a de fascinant avec les romans de Bret Easton Ellis, c'est que bien souvent on ne veut pas y être. Je m'explique. Si la réussite d'une oeuvre repose sur le procédé d'identification, force est de constater que dans ses bouquins, le succès doit résider ailleurs. Enfin c'est valable pour moi, vous n'êtes pas obligés d'embarquer dans cet argument. Mais bon, je n'ai jamais trop fantasmé sur une vie de serial-killer (sauf au boulot, souvent), de toxicomane jusqu'au-boutiste (sauf au boulot, parfois), et encore moins de youpi new-yorkais (sauf au boulot, par intermittence). Les vies pitoyables qu'il nous expose ne me font donc que moyennement rêver au final, et c'est peu dire.
Là est toute l'astuce semble-t-il. L'efficacité d'Ellis tient justement et partiellement (et pour moi encore, je me répète) de ce rejet absolu des existences qui me sont présentées. On connait American Psycho; même si la vie de Patrick Bateman peut faire envie sous certains aspects, la grande majorité des gens sains d'esprits vous diront que sur le long terme, découper des gonzesses avec les dents c'est pas super viable.
Dans Less than Zero (son premier roman si je ne m'abuse docteur), on assiste aux frasques ultra-emmerdantes du jeune Clay. Clay, résidant occasionnel de Los Angeles, 19 ans et fils à papa s'ennuie comme un martyre. Alors forcément il se cherche le bougre. Fiesta et orgies plus navrantes les unes que les autres sont au menu de sa jeunesse de nouveau riche des années 80. Plongée ténébreuse dans un monde que je ne veux connaître que de très loin et vous savez quoi, ça tombe bien parcequ'il y a bien peu de chances que je cotoie un jour les potes de Clay. A moins bien sur qu'un producteur avisé finisse par remarquer mon physique ravageur de mannequin des tombolas ou que je me lance avec succès dans de brillantes études de management international (option échange des minéraux fossiles et pollution irréversible). C'est une réalité, la société de la défonce de luxe et de l'argent qui tombe en chiées ce sera pour une autre vie. Ah non merde j'oubliais, dans une autre vie ce sera pas possible, la révolution arrive (ou la mort par radiations, au choix...).
Fascinant donc comme ces vies de ravage peuvent m'accrocher. J'observe tout ça avec une bonhommie toute naturelle jusqu'à ce que je m'avoue spirituellement que ces vies existent bel et bien. C'est alors à ce moment là que je me dis qu'avoir été élevé à la purée Mousseline et au chocolat Poulain ça évite pas mal de tracas.
Le bouquin m'aura valu par surcroît un trip assez intéressant (c'est la thématique). Je profite d'un splendide moment de calme au boulot pour lire une ou deux pages. J'en suis à ce moment où notre héros voit ses naseaux exploser dans une mare de sang suite à d'incessants reniflages de poudre. Je finis cet épisode et quelques secondes après, j'entends venir du fond de la classe cette complainte camouflée: "Monsieur, j'peux-tu aller aux toilettes c'est urgent je crois... ?". Je lève la tête pour voir une élève de 16 ans, un mouchoir rougi sur le nez, en attente de ma magnifique bienveillance. J'ai dû laisser un temps un peu trop long avant de lui répondre: "Euh oui bien sur, évidemment...".

"Et pendant que l'ascenseur descend, passe au premier étage, au rez-de-chaussée et descend encore, je comprends que l'argent est sans importance. Que seule compte une chose: je désire voir le pire."

2 commentaires:

Cryptisemita a dit…

Clay is what we become when indulging in the reality of addiction...primordial sticky, dug-up mess of malleable mud and muck that faithfully holds our shape until completely dried and we crack and crumble into broken bits to be swept up by those around us. When it goes too far we are dust. Is that why the protagonist is named clay?

Eustache Pinkwood a dit…

You know what, I didn't even think about that. Damn it, it is so true! That guy is so passive and malleable, he will be anything the surrounding society has prepared for him.
Nice shot Will, you win our wonderful vacuum cleaner for tonight and you're invited to play again next week...