mercredi 30 mai 2007

Prendre sa malle en patience

Qui donc est Blake?". Cette simple question suffit à remplir les journées déjà bien remplies de Tatache. Dans 48 heures il sera à Boston, et il ne sait toujours pas pourquoi. Une certaine peur a élu domicile dans ses tripes, torturant méthodiquement les contours de ses reins, titillant sa rate et grattant ses rétines. Tatache a les boules quoi. Il n'a aucune, mais alors aucune idée de ce que peut bien lui vouloir ce satané voisin américain (oui, les habitants du Sud sont désormais des cousins pour lui, il s'est en quelque sorte arrogé la citoyenneté canadienne, sans baiser les pieds de la reine ceci étant dit). Tatache sait parfaitement ce qu'il a à cacher et que retraverser la frontière est une prise de risque inconsidérée, le meilleur moyen de se rappeler aux bons souvenirs du BI (ce n'est que dans les années 40 que l'on a apposé un F au sigle), à la police bostonienne toujours friande de matraquage gratuit, et pire que tout, aux nombreux sectataires pullulant dans les bas-fonds de la ville.


"Ca sent le piège à trois bons miles", se dit Tatache. Pas faux probablement mais en attendant, rester le derrière planté à Montréal est le meilleur moyen de se faire cueillir par une horde de chacals revanchards. Et si Eustache n'est guère vaillant quand vient l'heure de la castagne, il la sent venir d'assez loin pour savoir quand et comment foutre tout le merdier indispensable dans son baluchon. Par merdier indispensable, on entend bien sur l'arsenal classique de tout bon investigateur traqué (ceci est un axiome): papier, crayons, Minolta, de bonnes chaussures pour échapper aux Shogotths, diverses frusques permettant un rapide changement d'apparence. Ah oui forcément aussi, le bon calibre 38, le même qui lui avait sauvé la peau dans les marais de Virginie. Tatache se dit rapidement que l'équation calibre 38 + douaniers américains possède certaines inconnues quelque peu risquées mais après tout, avait-il vraiment le choix?

Deux jours et il déguerpit Eustache. Ca lui promet encore deux charmantes nuits d'angoisse et de monologues intérieurs.

"C'est qui ce Blake? Et il me veut quoi tabarnak!?".

lundi 28 mai 2007

Les loups sont à la porte


Peu habitué à recevoir du courrier, Eustache fut bien surpris en rentrant d'une nouvelle journée de labeur, de trouver dans sa boîte une missive à son nom. Après s'être débarassé de ses diverses guêtres et autres pelures, il entreprit d'ouvrir l'enveloppe. Aucun signe n'indiquait son émetteur. La calligraphie, souple et élégante, semblait néanmoins révéler la plume d'un homme cultivé et entreprenant. La lettre avait été postée depuis Boston au tarif express, elle avait donc dû être émise aux environs du 20 mai.

Qui pouvait donc être cet homme? Eustache connaissait encore quelques individus dans la grande mégalopole du Massachussets, mais personne ne lui avait écrit depuis bien longtemps. Après la disparition de ses compagnons (qui restait un mystère pour la police locale), il avait pris soin de se faire oublier dans le grand nord. Une sourde inquiétude s'installa en lui: caché il ne l'était visiblement plus, et si par malheur l'envie de le retrouver venait à ces terribles adorateurs, il lui faudrait plier bagage au plus vite.

Ouvrant l'enveloppe, il déplia une simple feuille d'un papier riche et épais. La même écriture s'étalait sur quelques lignes. De plus en plus inquiet, Eustache put lire:


Mr Pinkwood


Mon nom ne vous dirait rien, pour cette seule raison donc je ne vous le dévoilerai pas. D'autres motifs pourraient m'inciter à conserver mon anonymat, mais par simple respect, je me présenterai à vous sous le nom de Blake.

Monsieur, je suis désormais en possession d'éléments vous compromettant dans d'obscures manigances. Vous vous pensiez à l'abri, vous ne l'êtes pas. Si direct que puisse vous paraître mon message, il cherche malgré tout à vous éviter de graves tracas, et très probablement une fin douloureuse. Sachez simplement que des intérêts personnels me poussent aujourd'hui à vous avertir du danger qui vous guette: les fils de Yig sont démasqués, vous êtes le prochain sur leur liste, ils sont en chemin. Je ne suis pas un philantrope, je cherche tout simplement à sortir mon épingle du jeu. Si ma richesse doit passer par votre protection, qu'il en soit ainsi. Je vous attends à Boston, dans 5 jours précisément. Prenez moi bien au sérieux. Si vous ne venez pas à moi, ils viendront à vous.


Bien cordialement


Blake


Eustache découvrit au fond de l'enveloppe un petit billet cartonné, qu'il reconnut rapidement comme étant un ticket d'une célèbre compagnie d'autocars publics. Il put y lire: Montréal- Boston, vendredi 1er Juin 1924, 23h15, Quai numéro 3.
La gorge nouée, il reposa la lettre et sentit sourdre en lui les échos de menaces enfouies depuis trop longtemps.

dimanche 27 mai 2007

Tu l'as vue ta face de macaque?


De temps en temps, ça fait du bien de se faire traiter d'espèce dégenéré, de représentant boueux d'une civilisation perclue et condamnée à la déchéance (oui bon c'est vrai, on est déjà bien avancé sur ce point...).

A Short History of Progress, c'est un tout chti bouquin qui se lit en deux coups de cuillères à pot. Le môssieur qui l'a écrit, un certain Ronald Wright, nous fait un petit topo de quelques sociétés perdues dont l'exemple ne peut que servir à éclairer le ciboulot d'esprits embrumés (ou complaisants, c'est au choix).

Cinq chapitres traitant dans l'ordre: de l'existentialisme, capacité humaine à la "reflection" (le terme anglais est plus adéquat, ça fait chier de le dire mais c'est comme ça), de l'aptitude à s'envisager en rapport à son monde, à son moi, à son futur (lire Sartre pour d'éventuelles précisions...). Ensuite, nos ancêtres les poilus, l'outil et la gentille rencontre entre Cro-Magnon et Néanderthal. On m'a toujours dit que ce dernier n'avait aucun rapport avec nous, il semblerait que ce ne soit pas évident (voir les frères Bogdanov pour illustration).

Le chapitre sur les Sumériens et les habitants de l'île de Pâques est proprement fascinant. Je me suis souvent demandé pourquoi l'on surnommait jadis les terres d'Irak et d'Iran (c'est à dire bien avant la naissance d'Eddie Barclay) par le terme de croissant fertile. Bein quoi c'est vrai, si fertilité il y a là-bas, c'est de l'ordre des bastos et puits de pétrole, niveau baobabs et eucalyptus c'est limité non? J'y aurais appris comment, bien avant Monsanto et ses OGM, le genre humain a foutu en l'air le sol et ses réserves d'eau du fait d'une gestion agricole calamiteuse (José Bové si tu m'entends, bien le bonjour...).

Pas mal de petites études complètent ainsi le tableau et affirment davantage l'idée que non, c'est pas parce qu'on est au top question sciences, qu'on l'est forcément question sagesse. On se dit que c'est officiel, on va droit dans le mur avec un sourire béat. A lire donc, surtout si votre colloc est un ricain pro-Bush...

mardi 22 mai 2007

David Vincent l'a vu


Je me lève ici contre la désinformation, contre l'illusion entretenue par les divers organes de presse française.

Vous croyiez notre nouveau président à Malte, ou encore à Brégançon? Eh bien vous avez tout faux, on vous ment de la manière la plus grotesque et vous marchez dans le panneau. La vérité, c'est moi qui la détient. Afin de vous prouver que je n'ai pas définitivement sombré dans la mégalomanie, lisez plutôt ça, vous les cohortes d'incrédules, les légions bercées de sophisme et de propagande télévisuelle.

Il est 6h15 vendredi dernier, je suis sur la route du travail (oui vous pouvez relire ça, je me lève tôt pour gagner tout pareil). J'arrive à mon point de chute, je m'apprête à quitter le bus quasi-désert, ce cher numéro 55 qui aura vu mon gros postérieur venir s'écraser sur ses sièges un bon paquet de fois. Station Place d'Armes, en plein quartier chinois, je suis prêt à éviter le retour intempestif des portes automatiques et de risquer une luxation à vouloir pousser celles du métro (que ceux qui connaissent l'architecte de ces panneaux en acier trempé le dénoncent sans amertume, il est responsable de l'écrabouillement d'environ 750 mémés par semaine).

J'en suis donc là quand je m'aperçois que la route est barrée. Deux bagnoles de keufs barrent la route. A cette heure plutôt indue je me dis "Bon, il sont en train de chopper un herboriste vietnamien au saut du lit, c'est du déjà vu". Je pensais qu'enfin, on pourrait retourner bouffer au chinois sur Avignon en toute quiétude, sachant enfin sous les verrous le grand instigateur de la contamination mondiale par salmonélose à la pousse de bambou.

Eh bien que nenni. Au beau milieu de la route, qu'est-ce que je vois-ti pas? Hein? Un hélicoptère, parfaitement madame. Pas un piti coptère, un vrai coptère, avec le rotor et tout et tout. En occultant cette vision matutinale quelque peu surréaliste, je me suis vite aperçu qu'un détail frappait davantage ma sensibilité d'humble travailleur, humble travailleur qui au passage se fait emmerder plus pour gagner, je vous laisse conclure... exactement la même chose. Bien, passons.

Un petit détail donc. Presque rien en fait, mais ça n'a pas échappé à mon gogo-gadget-aux jumelles. La queue de l'appareil était discrètement striée de trois lignes bleue, blanche et rouge. Conclusion immédiate et indéniable, j'avais devant moi un hélicoptère des forces armées françaises. Deuxième conclusion implacable: c'est l'hélico de Sarkozy.

Eh oui les gars, qui d'autre sinon lui? Qui d'autre prendrait le soin d'organiser cette chasse à l'homme (car il me cherchait, ça j'en suis sur), de casser les noix aux expatriés gauchistes tout en affirmant intrinsèquement son intention de rebâtir un empire colonial. La Nouvelle France, l'occasion est trop belle, y a qu'à changer deux trois choses dans les statuts de la province et hop!, on se récupère l'ancienne possession. "Le Québec, donne-le ou quitte-le", c'est rien qu'une prémisse avant la reconquête de Tizi-Ouzou, la ré-annexation de St Jean d'Acre et à terme, la rénovation du temple de Salomon par Martin Bouygues.

Quand je pense que vous vous êtes tous fait avoir par la télé locale. C'est trop facile de vous avoir les gars. Un yacht en Méditerrannée, non mais vraiment, n'importe quoi...

mercredi 16 mai 2007

La nuit, tous les chats sont cuits


Jamais, au grand jamais je ne serais allé par moi-même voir Evil Dead. Bein non, les décharges d'hémoglobines et les parades de zombies ne m'ont jamais trop éclaté. Oui mais voilà, Sam Raimi vient de nous pondre Spiderman 3, un film très hollywoodien certes, mais seuls les dégénérés du citron et les bobos assermentés oseront critiquer l'évidente qualité visuelle de la chose. Ne parlons même pas de la dichotomie comic/comique ni des métaphores subtiles et du sous-texte, en un mot comme en cent, c'est une très bonne bête (l'article de Will dit sensiblement la même chose, avec en plus la fougue d'un vrai fan de catcheurs en tutus, alors allez-y donc).

Bref, avant de se commettre avec Spiderman, Sam Raimi s'est expérimenté dans le bon cinoche de genre qu'on déguste avec un pot géant de pop-corn, le bras enroulé autour de Sandy (la péroxydée de service, conciliante à qui sait s'y prendre) tel une pieuvre guettant le lièvre égaré dans la pampa un matin d'automne.
Je m'attendais un peu à une énième version de cette même série B. C'est vrai que l'histoire ressemble à toutes celles qu'ont écrit des générations entières d'auteurs sans inspiration. Mais si vous savez bien, la bande de potes en weekend à la montagne dans un chalet isolé de tout. Vous devinez la suite, des gros méchants monstres enfouis dans d'obscures arcanes vont ramener leur trombine pour baffer les zigotos.

Les spécialistes en cinéma pour ados pourraient sans doute vous citer une centaine de scripts semblables, mais on s'en fout. L'intérêt n'est pas dans le texte ô vous les joyeux sceptiques. Donnez un kilo de pommes et du sucre à deux gugusses différents et allumez les fourneaux. Le premier vous sortira une tarte classique, sans teneur ni originalité quand le second mettra les conventions de côté pour s'amuser un bon coup et vous inventer une tarte tatin.
Ici c'est tout pareil. Le pote Raimi sait ce qu'il fait et nous le fait savoir. On ne se contentera pas de dire "Bouh, qu'elle est vilaine la méchante bébête", on va aussi se marrer quand dans le feu de l'action, notre héros du jour nous fait partager sa lucidité avec un hilarant "Ah oui, surtout il ne faut pas que j'oublie les cartouches, je vais en avoir besoin des cartouches". Je ne vous parle même pas de sa crise existentielle, la tronçonneuse vrombissant devant le corps de sa gonzesse rongé par une poussée subite de "zombisme" ("Bon, comment ça se coupe cette volaille là?").
D'autres scènes vont me rester, comme par exemple une bonne grosse décharge de mornifles à coups de poutre ou encore ces dernières scènes où le sang se mêle aux pellicules de film (faut voir pour comprendre, sinon faut que je vous fasse des phrases concises à la Proust), où il s'attribue la lumière et l'ampoule du plafonnier (ça tient du génie, vraiment).
Quand certains font du bloubiboulga à la Resident Evil, Sam Raimi te concocte la recette d'une soupe de qualité aux hématites stylisées, avec des petits bouts de fémur grignoté dedans.

dimanche 13 mai 2007

William Faulbrick?

Dave: "J'y comprends rien, je vais prendre les York Notes"

Je n'ai pas été très productif cette semaine, la faute en est à des horaires de boulot élastiques. Et puis je me fais vieux, j'ai le sommeil précoce en ce moment. Je donne pas cher de ma peau ce soir d'ailleurs. Là je rentre de la forêt, gros bol d'air frais, éradication du monde urbain et de la bagnole, danse avec les loups (cette dernière assertion n'est pas juste là pour amuser la galerie).

Du coup j'ai pas eu le temps de vous parler de mes dernières déficiences intellectuelles. Il m'aura fallu 7 ans je pense pour aller au bout de Space Odyssey de papy Kubrick. La première tentative de visionnage m'avait laissé pantois, quelques années après j'ai retenté le coup. En même temps, il m'a bien fallu 10 ans pour finir Usual Suspects alors... Dans cette même semaine passée, je me suis lu The Sound and the Fury de Faulkner, et le mélange des deux fût un résultat détonnant. Je me suis vraiment pris pour le fameux Dave dans le film, cet astronaute impassible qui même confronté aux trous noirs et à l'asphyxie, ne se dégonfle pas pour autant et accepte avec bonhommie les aléas de sa vie d'homme sans "gravité". Vous vous souvenez de la fin du film? Pas mal l'effet d'optique multicolor, plutôt hallucinant même. Pour le coup là, la quatrième dimension on la prend en pleine face. Distorsion, fragmentation, c'est du fractal dans ta tête, une joyeuse partie de boggle.
Eh bien c'est exactement ce bazar là dans mes neurones quand je me plonge dans notre ami le grand sudiste. Question multiplication des points de vue, enchevêtrement des personnages et des époques, c'est du bouquin qui demande une sacrée attention. J'étais prévenu, c'était pas ma première altercation avec Faulkner, mais quand même. J'en étais presque à mettre en question mes capacités neurologiques quand William (autre auteur du même nom, moins connu pour le moment, mais plus en vie, à ma grande satisfaction) m'a rassuré sur la complexité de cette prose. Si même les anglophones s'en sortent pas, y a de l'espoir. Dans trente ans peut-être j'aurai cerné la chose. Tiens, ça me fait penser que j'ai toujours Ulysses qui m'attend au rayonnage "les auteurs irlandais se défendent bien entre un whiskey et une poussée en mêlée".
Allez, je vais pas tarder à aller mettre la viande dans le torchon. Fais chier, le voisin a refoutu son gros beat qui tâche. Je devrais peut-être lui servir un bon Burroughs, ça le détendrait du cortex...


Tatache: " T'vas-tu la farmer ta yeule? J'essaye de lire Faulkner, hostie d'marde!"

samedi 5 mai 2007

Chronique d'un saccage annoncé (Partie 2)


C'est fait, je suis de retour. J'ai pris ce qui me restait de convictions et j'ai mis mon petit bulletin dans l'urne. Etrange tout de même, il y a deux semaines le bureau de vote était assailli par une foule d'électeurs. J'avais dû comme tout le monde patienter avant d'entrer, une gentille file s'allongeait sur un bon cent mètres. Et puis là aujourd'hui, je me serais crû aux portes ouvertes de la CGT. Pas un chat ou presque, en deux temps trois mouvements j'étais déjà ressorti.
Et pourtant j'y suis allé pour ainsi dire à la même heure. Mais où étaient donc passées ces ribambelles de familles optimistes, ces petits vieux endimanchés (c'est pas une évidence, ici on vote le samedi), ces têtes blondes accompagnant fièrement pôpa et môman jusqu'à l'isoloir?Tiens, ça me rappelle qu'en 88, entrant dans l'isoloir aux côtés de ma mère, j'avais clamé bien fort en ressortant:" Elle a voté Mitterand!". Le regard de mon père m'a fait comprendre deux choses à ce moment là. La première: mon petit, la politique ça demande de la retenue, rien ne vaut une victoire dans la dignité (vu son comportement lors de la finale de 98, je remets en doute ce postulat). Et deuxièmement: continue comme ça mon gars, t'as un héritage de gaucho à perpétuer.

Bien peu de monde donc aujourd'hui. Et je ne vous parle pas des faciès bien entendu. Ceux qui comme moi sont venus la mort dans l'âme, savent qu'il ne leur reste plus qu'un bon vingt-quatre heures avant la dissidence. La dissidence étant un état d'esprit confortable pour le peuple français, je ne m'attend pas à voir grand chose que des bagnoles qui crament ou Jack Lang et Bénabar dans la rue. Le ministère de l'Intérieur a prévu des effectifs de ratonneurs conséquents pour demain soir, juste au cas où (Sarko a laissé les clefs de la maison à Barouin, sans oublier de lui refiler la méthodologie des chemises brunes).
Ceux votant le dit Sarkozy étaient bien difficiles à reconnaître. Après tout, on sait très bien depuis 40 que collaborer au bien commun n'a rien de désobligeant et que l'on peut donc tout à fait s'affranchir de sa tâche l'âme en paix, avec les remerciements de la République. Résultat demain et je sais pas pourquoi cette élection, je commence à pas bien la sentir.
Question chiffre, si on considère qu'environ 25 à 30 pour cents des électeurs vont s'abstenir pour le second tour, voilà ce qu'on devrait avoir:
Sarkozy va passer avec 53% (ça n'engage que moi, je sais c'est énorme), soit près de 18 millions de gugusses. Il en reste un peu plus de 15 millions pour la cul benni. Donc presque 3 millions de différence sur le papier. Ca fait pas mal non? Si on garde ce ratio là et qu'on l'applique à notre voisinage pour y voir plus clair, ça pourrait donner ça:
Dans un immeuble comprenant 15 personnes toutes majeures (donc votantes), 8 auront voté pour Naboléon. Première conséquence, on oublie le barbecue pour la fête des voisins. Deuxième conséquence, on se dit que ça s'est joué à un près et que décidemment les mathématiques sont impitoyables.

Nota Bene pour Pascalou:
Non, je ne suis pas devenu un fervent défenseur de la sociale démocratie d'inspiration christiano-maçonnique. Je conchie le patriotisme sirupeux de Royal, ses appels au drapeau, à un patriotisme dégueulasse, à sa mythologie giscardienne. Est-elle un meilleur rempart démocratique que Sarkozy? Je ne le sais pas mais j'ose encore l'espérer. Tu me citais Thiers à juste titre dans un de tes derniers mails. Avec un effort commun et de la raison, on lui a rasé sa baraque à Thiers. Certes, pour quelques tuiles brisées, il en a aligné pas mal contre le mur. Non elle ne me plaît pas, ni politiquement, ni intellectuellement (et je garderai mes appréciations physiques pour nos retrouvailles autour d'une bière). Je pense que l'élection d'un Sarkozy enfoncera encore plus nos chers concitoyens dans la paresse et la certitude qu'ouvrir sa gueule c'est mauvais pour le marché. N'étant toujours pas encarté, j'ai choisi ce positionnement là qui je te le concède n'est guère vaillant et a de surcroît le malheur de cacher à quel point j'emmerde cette gauche de complaisance. On s'en reparle bientôt, en chair et en houblon.

Flavie, merci pour l'affiche.

mercredi 2 mai 2007

Lunar Park


Ouuaiiiis!!! Cri de jubilation, extase et ô délectable surprise. J'aime quand sans crier gare, un bouquin me pousse dans mes retranchements au fil des pages pour finalement m'achever et me laisser tout pantois.
C'est ce qu'il vient de m'arriver avec Lunar Park de Bret Easton Ellis. Je sais, j'ai un peu tendance à lire les mêmes gars en ce moment, mais que voulez-vous, les écrivains c'est comme les amis, on s'obstine sur les valeurs sûres dans les moments de "pas super éclate".
Vraiment là le petit Bret, il m'a bien eu. A ma grande surprise (et aussi à une première déconvenue il faut bien le dire), je m'aperçois dès le début que le roman est un genre d'autobiographie, une sorte d'explication profonde sur les motifs de son oeuvre. Après avoir encaissé le mauvais coup (je sais, je suis dur avec les gens qui parlent d'eux-mêmes), je me dis qu'après-tout ça ne peut pas être complètement inintéressant d'apprendre l'historique de Patrick Bateman et consorts. Le premier chapitre m'accroche bien, j'y apprends la vie dissolue de l'auteur, quelques détails me faisant mieux comprendre le malaise de ses créations. Je suis trop naïf, je crois encore que l'esprit seul d'un être humain est capable d'imaginer les pires histoires, les situations les plus ignobles où se mêlent le sang et la bile. J'essaye de me l'avouer, certains gars puisent leurs ignominies littéraires dans leur propre caboche (Ferdinand Céline et Paul Morand, si vous m'entendez...).
Je me suis rendu compte que l'existence de bourgeois misérable que décrivent ses bouquins ne sont en fait qu'une retranscription des ses vertes années, le regard féroce et désabusé qu'il porte sur son petit monde de "privilèges".
Alors, quel intérêt me direz-vous, à quoi bon nous jeter dans une étude sociologique masturbatoire? Minute les gars, passez le premier chapitre, laissez-vous bouffer par la maîtrise de Môssieur Ellis. Ouais, respect. Progressivement, on fait connaissance avec son petit monde de Californien enfermé dans sa tour d'ivoire, engoncé dans une complaisance douloureuse qui le mine chaque jour un peu plus. Pfff vous vous dites là tout de suite, et vous avez tort.
De la classe, du talent, du gros oeuvre minutieux. Sans trop en dire sur l'histoire, on comprend petit à petit que le roman cherche volontairement à nous perdre entre deux mondes. Tout n'y a pas existé, et connaissant l'énergumène qui nous l'a pondu, on ne peut jurer de rien.

Lunar Park m'a plus fait flipper qu'American Psycho. Ici, on n'est pas au contact d'un gars qui très clairement n'a pas toute bienséance sur ses pulsions. On se met dans l'état d'esprit, on se brutalise un peu mais au final on s'en sort bien.
Mais là, on s'assoit tellement confortablement dans le réel et l'attendu (on frôle l'ennui) que quand déboule le grand chambardement, on perd très vite pied. Question construction d'un malaise, Ellis n'a pas grand chose à envier à un Stephen King (les bonnes grosses ficelles de la maison trop grande et sans âme). Très rapidement, on ne fait plus très bien le tri (et on n'essaye même plus d'ailleurs) entre le vrai Ellis (l'auteur) et le Ellis fantasmé; le prof de fac marié à une star hollywoodienne, fictive elle aussi, père pas modèle un brin de gosses sous anti-dépresseurs (Victor le chien aussi prend du Valium). Alors quand surgit la crise, on ne sait plus très bien si l'auteur nous révèle d'anciens délires psychotiques ou si tout l'intérêt du roman est là, dans cette manipulation de très haute volée (je pèse mes mots les amis). Je me suis rendu compte finalement très tard que le piège s'était impitoyablement refermé sur moi. Concrètement, quand la scène de l'exorcisme est venue sur la table, je me suis demandé: "C'est vrai ça ou pas?". Hallucinant non? Et vous savez quoi, je me demande encore...
"Libère Bret. Recommence tout. Rajeunis. Replonge-toi dans le monde adolescent du tout ou rien, dans la peinture rupestre des corps dévorés par les flammes- les trucs qui avaient fait de toi un succès précoce".