lundi 17 novembre 2008

Syllogisme


Les pieds dans le vide, dandinnant gentiment de gauche à droite, d'avant en arrière, tapent contre le mur, reprennent leur position. Et encore. Le petit Michel est assis sur le petit muret. C'est le sien. Son muret. Ses pierres à lui, couvertes de mousse par endroit, mordue par le goudron écaillé par d'autres.
Michel, il est bien là. Il est cool, ça lui plait.
Tiens, des vélos.
"Connard, ta race! 'Culé, mange tes morts!".
"Qui c'est ceux là?", se dit le petit Michel.
Les vélos se rapprochent, un peu. Plutôt vite en fait. Michel a fait involontairement un vite calcul. Dans une sixaine de secondes (ouais, une sixaine, exact), les vélos seront à sa hauteur.
Ca laisse donc tout juste 6 secondes au petit Michel pour se casser de là, et survivre. Mais Michel n'est pas conscient de la précarité dans laquelle se trouve sa petit vie, à ce moment. Non pas qu'il soit con Michel. Non non. Il est même plutôt malin pour son âge en fait. Il est juste inconscient. Inconscient comme on l'est à 10 ans (je dis ça, je fais une approximation à la louche, c'est peut être un chouia plus ou un peu moins).
Bref, Michel ne va pas descendre du mur dans les six secondes. Et donc, il va crever. CQFD.
Ah oui d'ailleurs, j'ai spécifié l'âge de Michel juste avant. 10 ans. On dit souvent 10 ans quand on pense à un gamin sympa, la bouche en coeur, le rose au front, la fleur au fusil. D'ailleurs Hollywood adore les mioches de 10 ans. Vachement pratique pour faire chouiner l'audience. Vous l'aurez compris donc, j'ai fait ça pour amener le pathos. Malin, non?
Ca y est, les vélos sont arrivés jusqu'à Michel. Ils se sont arrêtés d'ailleurs (mais ça, ça vous surprend plus vraiment, non?).
"Quesse tu fais là toi?"
"Rien"
"Ta gueule j'te dis! Quess tu fais là?!"
"Bein rien!".
Michel descend du mur. Enfin, pas volontairement. Le plus gros de la bande de trois vélocipédistes (un abruti pubère comme on en fait plein) l'a bien aidé. Il a tiré de ses deux bras gras les chevilles frêles du petit Michel (ah pathos quand tu nous tiens...). Michel s'est donc cassé la gueule. Il est par terre (mais pas debout, comprenez).
"Vas y qu'on lui explose la tronche à c'tenculé!".
Et c'est ce qu'ils font. Sans trop de haine, non. Juste avec un peu de violence. Pas celle des guerres, des intifadas ou des croisades. Non non, avec de la furie ordinaire, celle du blaireau dans sa caisse sur le périph', celle du supporter de foot, celle du courtier en bourse (ouais tiens, pourquoi pas faire passer ces ramassis de lépreux congénitaux au rang des ennemis publics, je suis pour).
On meurt rarement des suites de coups de tatanes de pubères en vélo.
Sauf si on a très peur et qu'on est cardiaque.
Le petit Michel a très très peur.
Michel est cardiaque.
Il meurt.

Syllogisme.