
Oui bon, desole ca a pris du temps mais comment vous dire... Le Texas et la Californie c'est pas la porte a cote. 42 heures de train, ca explique un peu cela. Tatache n'est pas mort, il se remet doucement de l'Arizona et du Nouveau Mexique. Le Texas est loin desormais (comment ca tant mieux...?). Allez, on y retourne.
Tatache n'est pas un complet bouseux, mais il convient de rappeler toutefois qu'il passa le plus clair de son temps de sa prime jeunesse dans de tres modestes petites villes ou le crime, le bruit et la fureur etaient choses rares. Son quotidien fut davantage rythme par le championnat local de foutchebol ou par le defile annuel des majorettes masculines (son popa n'etant autre que la chef de troupe, ceci pouvant peut etre expliquer les tendances autistes d'Eustache, et sa desillusion precoce quant a la soit-disante sagesse du monde des adultes) que par l'agitation du monde urbain.
En fin d'apres-midi, Tatache debarque donc a Los Angeles, petite cite de 17 millions de tares du cortex. La gare est situee en plein quartier mexicain, mais a quelques brasses de la se trouvent le japonais, le coreen, le chinois et d'autres de ces ethnies qui s'expriment avec des dessins divers: petites maisons, vaguelettes, petits batons sous gros baton, etc...
Tatache fait tout de meme quelques emplettes afin de faire tourner le business local et decouvrir de nouvelles saveurs. Son premier repas californien inclut donc petits biscuits sales avec des des bouts noirs non-identifies dedans, faux cookies (du sel aussi, damn it!), et pour couronner le tout, des mikados verts parfum chocolat-the vert-pousse de bambou. Deballant son frugal repas de son elegant sac plastique (qui raconte plein de choses interessantes comme carre, chapeau a l'envers, deux batons, point virgule), Tatache se met a l'oeuvre. Une patrouille de la police montee passe aux abords. Ils arborent le meme facies, la meme posture et la meme attitude que les heros costumes de la serie Chips (gloire a toi Ponch...). La patrouille l'observe meticuleusement, intriguee par la vision de ce voyageur apparemment ravi de bouffer n'importe quoi, puis poursuit sa route. Bon point pour Tatache, les echos de ses agissements texans ne sont pas encore parvenus aux oreilles de la milice locale. Avec un peu de chance, Clush et ses sbires le cherchent peut etre encore du cote de Houston. Il a semble-t-il un coup d'avance, il s'agit maintenant de jouer judicieusement. Oui mais voila, il n'a rien de prevu dans ce bled. Autant en profiter pour parfaire son teint mat, il filera a la plage aux petites heures.
Etonnant, on entend souvent dire que les etatsuniens travaillent d'arrache-pieds, qu'ils pretent une allegeance sans faille a l'entreprise, que c'est ainsi que cette civilisation a aujourd'hui le droit d'emmerder le reste du monde sans avoir a s'en excuser (ni meme a penser a le faire, c'est dire). Hors, comment expliquer qu'en ce jeudi matin, de nombreux citoyens paressent et se dorent sur la plage? Tatache s'insurge, ne devrait-il pas plutot se rendre au bureau et servir les interets du pays plutot que de se faire frire la pillule, a promener chienchien, a rouler bicycles et chaussures a petits pignons?
Il ne passe que peu de temps dans ses pensees furieuses. Au large, un jaune esquif motorise s'approche de la plage a grande vitesse. Droit vers Tatache. Aucun doute, c'est pour lui. Le bateau se rapproche, les silhouettes a bord se font plus nettes. Une grande blonde en maillot rouge avec une bouee en forme de bretzel, un homme en costume blanc. Pas d'idee pour la blonde, en revanche pour le costume blanc, c'est clair comme de l'eau de roche. Drumsfled, encore lui. Le bateau atteint la plage et s'enfonce violemment dans le sable. Drumsfled debarque.
" Pinkwood! Je savais bien qu'on se retrouverait, face de saurien"
" Tu commences vraiment a m'emmerder Drumsfeld. Maintenant ca va chier"
" Dis donc, ca te reussis pas question langage la cote ouest mon pote"
Se rappelant le livre d'arcanes (celui que Blake avait recupere dans son frigo), Eustache extrait le dit codex de sa poche. Compulsant brievement la table des matieres, il hesite quelques instants entre la malediction du serpent fantomette, une poussee d'ecailles genitales ou langue fourchue des grandes occasions. Finalement, il opte pour la ratatouille du cobra maudit.
Drumsfeld sort sa petoire et fait quelques pas en direction deTatache, l'air menacant et survolte de ceux qui ont un pistolet charge (la premiere categorie). Eustache ne rejoindra pas aujourd'hui ceux qui creusent (la seconde categorie*), il se lance dans son incantation.
" Zigourath Abenakis Sssss Ratatsouille Sssss Tirlipimpon !!!", clame-t-il alors.
Le doigt de Drumsfeld commence sa pression sur la gachette. Pas de bol pour lui, c'est a cet instant qu'une autre pression de fait sentir sur ses chevilles. Sur plusieurs metres carres, la plage n'est qu'une foret grouillantes de couleuvres et de viperes. Enfonce dans ce bourbier, Drumsfeld est incapable de bouger. Rapidement, les reptiles s'amassent autour de lui, grimpent et entament leur brunch. Morsures apres morsures, le corps de l'agent gouvernemental se transforme bientot en outre sanguinolente. Un bout de peau par ci par la, il n'est plus qu'un support pedagogique dans une classe de bio ("alors la les enfants, on voit tres bien le biceps que soutiennent tres judicieusement les tendons rachidiens". Ah merde, les tendons viennent aussi de partir). Quand ses cris cessent, Tatache ne discerne plus qu'un bonhomme tout rouge dans un costume jadis blanc, desormais rubis. Drumsfeld s'effondre dans la mare de reptiles puis disparait, englouti et perce comme un Lou Reed de la grande epoque.
La grosse blonde de l'esquif reste petrifiee.
" A nous deux ma poulette", grimace Tatache.
" Vous ne pouvez pas me tuer, je suis Pamris Anderton. Je suis une star planetaire et le monde entier m'admire. Laissez moi partir et je vous fais construire un hotel sur la rue de la Paix", tente vainement la potiche.
Un gros bouillon se forme derriere le bateau. Un leviathan formidable surgit brutalement, monte vers le ciel et redescend en plongee. D'un coup de machoire, il engloutit canot et canotiere. Il ne reste alors a la surface que quelques debris de bois, la bouee bretzel et le maillot de bain rouge (les leviathans ayant un gout bien particulier, l'interieur du maillot de la blonde a on ne sait comment trouve grace a ses papilles).
Apres ce bon debaras, Tatache se dit qu'il a bien merite une bonne petite binouze dans un speakeasy local. Depuis l'avenement du dernier gouverneur, l'alcool est en effet de nouveau interdit et la possession d'herbe passible de mort par fumigation.
Les caves du bouiboui servent aussi de galerie d'art. Sur un des murs, Eustache reste admiratif d'une photographie mettant en scene une tres ancienne ruelle de San Juan.
" C'est beau n'est-ce pas? C'est aussi mon tableau prefere ici". Une quadragenaire bon chic bon genre, un verre d'alcool frelate a la main, vient de s'adresser en ces termes a notre heros.Quelques phrases plus tard, elle lui conseille de se rendre absolument dans un celebre bar de Denver, puisqu'il faudra bien qu'il rentre un jour. Et a moins de vouloir prendre le maximum de risques en repassant par le Sud, il lui faudra prendre une autre route, plus au nord cette fois-ci.
" C'est le fameux bar ou se rendait John Karak, l'illustre auteur de la bath generation", lui dit-elle.
" Ah oui je vois. C'est bien le grand blond avec la meche, cui qu'est mort dans son bain, non?", retorque-t-il.
La modame tourne les talons, grommelle un "j'ten...mmm... trais moi des co.... pareils".
Bon, au moins il a un point de chute quand il en aura fini avec San Francisco. Ca prendra le temps que ca prendra, en attendant faut qu'il aille se cacher. Camouflage ideal pour l'occasion: Fender stratocaster, collier de pates et flowers in his hair.
* pour ceux qui possedent chez eux le petit dictionnaire ethico-philosophique de Clint Eastwood, pour les autres tant pis.