
Avant de me rendre à un film, j'attends généralement d'en avoir entendu suffisamment de mal. Ca évite les mauvaises surprises qui, soyons honnêtes, ne manquent pas par les temps qui courent dans les salles obscures. Ou bien, il m'arrive aussi de n'écouter que ma première impression (vous savez, cette excuse passe-partout que les bonnes femmes appellent parfois leur sixième sens. N'importe quoi...). Ou encore pire, je me rends parfois dans ces auditoriums de grande solitude motivé uniquement par mes piètres références ("mais si tu sais c'est le gars qui a fait ce film produit par cet autre là, ah merde comment il s'appelle d'ailleurs, mais si tu sais, etc etc..."), et autant le dire directement, c'est souvent là qu'on est déçu. On se dit que cette adaptation de tel bouquin doit forcement être chouette puisqu'il est foncièrement impossible de ravager une oeuvre avec un tel scénario. Ah pauvres de nous, combien de fois n'a t'on pas voulu expédier un cargo de fiente sur la villa d'un abruti de réalisateur qui a, sans respect aucun pour nos jolis souvenirs, déversé un flot d'effets à la con, de détails plus que superflus, dénaturé même l'essence d'un personnage ou d'une intrigue. Et quand certains de ces attardés du bulbe s'attaquent à l'Histoire, on frôle assez souvent de dégobiller un torrent d'injures en plein cinoche sur ces dits mongols. Mais ils sont loin alors et ils s'en tapent bien de la vraisemblance, de l'authenticité. Le mal est fait et comme des nazes qu'on est, on a encore mangé la pancarte dans la face.
Eh bien il vient juste de sortir une nouvelle méga-prod ricano-québecoise sur la bataille des Thermopyles (non, ce n'est ni le nouveau t-shirt de chez Damart, ni de l'homéopathie pour le nez qui coule), un film dont tous les médias du coin s'enorgueillissent de crier bien haut qu'une bonne part de la post-production a été réalisée à Montréal. Ce film donc c'est
300, en référence aux vaillants suicidaires spartiates qui tentèrent de résister à l'invasion perse du gros méchant roi Xerxès (non, c'est pas du vinaigre...). Alors là on pouvait se dire "Ouh là qu'est-ce que ça va être que ce machin là bourré d'effets spéciaux", surtout quand on sait que les gars de la prod c'est ceux de Sin City et que visiblement, peu de cas a été fait de l'exactitude historique.
Eh bein je l'ai vu, et pis franchement c'est beau tout plein. Bien obligé de dire que niveau visuel on en prend plein la tronche, que le boulot a été fait et bien fait. C'est sur, ça étrippe pendant deux heures, ça perce des yeux, ça casse des côtes, ça broie des thoraxs, mais après tout ces gentils spartiates ne trempaient pas leurs épées dans l'eau...
Réjouis toi homme! Si comme moi la nature t'a fait une mauvaise farce en t'affublant d'un corps qui ne correspond pas à ton époque, pendant deux heures au moins tu seras le héros de ton cinéma de quartier. Je m'explique. Tu te dis souvent quand tu vois dans la glace ta charpente de bûcheron du dimanche que vraiment t'es pas à la mode. Mais malheureusement mon garçon, on parle pas de fringues ou de coupe de cheveux là, ton physique tu vas avoir du mal à en faire quelque chose de
bankable. A notre époque d'extrême raffinement, ta carcasse ne fait pas rêver ta boulangère, tu es trop massif, t'as pas la bouche en coeur et pire que tout, tu chausses pas du 2. Depuis tes années de lycée, tu te désepères de ces membres gourds, de ce faciès de bourrin qui ne parviendra jamais à t'attirer le gentil sourire des gonzesses de Terminale L option Arts plastiques (tu sais, celles qui dessinent en mangeant à la cantine, qui lisent Gogol assises en tailleur sous les platanes pendant la récréation..., ok j'arrête de te torturer). Donc non, c'est pas pour toi ça. Que veux-tu, de nos jours la gente féminine semble préférer les physiques de débris bien soignés, c'est tout un travail d'avoir continuellement un air sous-alimenté, un teint d'huître et un regard faussement inspiré et condescendant. Alors avec tes 90 kilos et tes rangers pour yéti tu repasseras plus tard, ton cv ne correspond pas au profil requis, mais on le garde quand même au fond d'un tiroir, on pourrait avoir besoin de tes services plus tard (en cas d'attaque nucléaire tu devrais résister assez longtemps alors accroche un sourire à ta face d'abruti).
Je reviens au film. Pendant deux heures donc, tu vas te sentir important, utile, presque même désirable mon pote. A l'écran défile un bataillon de gars un peu comme toi, gonflés à l'hélium certes mais aussi gracieux que toi. Et observe bien tout autour, ça lui plait à l'assistance féminine! Ecoute bien, leur respiration a changé, ça les titille ces gugusses pas dégrossis. Ils s'envoient des trempes monumentales dans la tronche, ils saignent, ils ont visiblement la culture générale et l'instruction d'un castor mais elles s'en foutent à ce moment. Elles voient de la grosse chair qui transpirent et soudainement elles se souviennent de certaines choses qui vont aller les gratter un peu de partout. Savoure mon ami, ton jour de gloire est arrivé! Pour un court moment, l'ère des gros emplâtres n'est pas révolue. A ce revival du mastodonte, j'émets néanmoins un doute profond. Ils sont gros certes les Spartes, mais ils ont pas de poils. Et ça me torture un peu. Sacrebleu! Ils nous ont eu encore une fois, ils ont embauché une armée de Ken et d'Action Men!

De gauche à droite: Hérodote, Léonidas et Eschyle
Allez, pour dire du mal maintenant. Effectivement, faut pas s'attendre à une restitution fidèle de l'Histoire antique, Vernant est mort y a un mois, il s'est épargné cette souffrance supplémentaire. Y a comme qui dirait un sacré bordel au niveau des armes, des bâtiments et des gros zanimals (fallait leur dire peut-être qu'Hannibal et ses éléphants c'est un chouia plus tard). Tiens quand on parle d'équipement, arrêtons nous deux secondes sur la lingerie militaire de Sparte. Quand le roi Léonidas fait la leçon à son fils, c'est pour lui vanter les vertus salvatrices du bouclier. C'est pas faux ça, ça peut servir pour se protéger la margoulette, et puis y a le casque aussi, il est joli mais faut y mettre du polish sinon il peut rouiller. On le voit, il est plein de bon sens le guerrier de Sparte, il pense à son salut. Mais c'est bien beau d'avoir un bouclier d'un mètre de diametre quand tu ne portes qu'un mauvais slip en cuir pour protéger tes abattis. Non mais franchement, je veux bien que le réalisateur ait voulu mettre l'accent sur la carrure des gars mais faut pas déconner quand même... Ca manque sévèrement de crédibilité, la prochaine fois ce sera quoi, l'armée des Huns en string? Là je dis halte!, les meilleures blagues sont les plus courtes (pour les pagnes c'est exactement l'inverse).
Je passe brièvement sur quelques scènes pathétiques. Ah c'est sur, dès que t'essaies de faire jouer la comédie à des hommes en plastique, c'est tout de suite moins probant. Les rares fois où ça discute et où ça chouine, on est obligé de constater les piètres talents d'interprétation de nos catcheurs courts-vêtus. Une bonne occasion de se marrer d'ailleurs, le fameux cri de guerre des Spartes, un genre de "Ouah, ouah, ouah" gracieux et imposant, très probablement pensé et orchestré par un chanteur de mambo à la retraite.
Et pour finir, l'aberration esthétique du film. Il y a quelques délires d'artistes au milieu bien sur (un rhinocéros de 12 mètres et surtout le gros bouddha à pinces de crabe), mais le top du top c'est quand même Xerxès en personne. Je m'en faisais une idée plutôt conforme à ces gravures assyriennes, un genre de pharaon sauce orientale d'une certaine manière (comme sur cette photo là par exemple, je suis trop naïf).

Xerxès, tel que représenté par une civilisation éclairée
Et puis j'ai vu arriver une grande tafiolle bodybuildée, attifée par Jean-Paul Gaultier, des bijoux de partout et bien évidemment la marque de fabrique du film, le fameux moule-burnes qui va bien. Là je me suis vraiment marré, d'autant plus qu'ils lui ont greffé une sorte de voix caverneuse pitoyablement arrangée par un clavier Bontempi bon marché (on dirait un peu Grand Corps Malade enroué au fond d'une cave). Donc, pour résumer le tout, imaginez un joyeux mélange entre Michou, Stallone et Paco Rabanne, et vous aurez une idée plus précise d'un Xerxès créé sous acide. Allez pour le plaisir, je vous le mets juste là.

Xerxès, tel que fantasmé par une civilisation nord-américaine
Allez, rendons à Leonidas ce qui n'appartient pas encore à César. On passe un bon moment en compagnie de sa testostérone, c'est bien ça l'essentiel. De là à ce que la morphologie de l'homme-diplodocus revienne à la mode, y a peut-être une bonne marge...